Il était une fois un représentant de jambon à l'os.
Il venait une fois par semaine servir au stand de charcuterie de l’hypermarché que je fréquente. Il présentait le jambon à l'os
aux clientes. C’était le meilleur jambon du monde.
Elles, elles avaient bien prévu d'acheter quelques denrées charcutières, mais le jambon à l'os n’en faisait pas parti.
Pour mieux les convaincre, il prenait soin de découper
quelques morceaux offerts à leur dégustation, présentés
sur le comptoir.
Il y avait celles qui achetaient sans goûter – « Tiens, j’étais à
court d'idée de menu, ça me fera le repas du soir avec une
bonne salade. De toute façon à nos âges, on ne mange plus beaucoup »
Il y avait celles qui goûtaient et se laissaient séduire. Il se
frottait les mains – « Je l’ai emballée ! »
Il y avait celles qui goûtaient juste pour le plaisir de goûter.
Un p'tit truc, là, au milieu des courses qui commençaient à
se faire longues tandis que l'estomac depuis un petit moment gargouillait doucement. Quelques-unes de celles-là y
revenaient, subrepticement ou ostensiblement, reprenaient
un autre petit morceau et s'en allaient. Il pensait – « Raté ! »
Tandis qu’elles pensaient comme en répons – « Si c’est mis à disposition, je ne vais pas me priver. Y f’rait beau voir ! »
Et lui d'encourager de sa voix trop forte et impérieuse.
– « Allez, Mesdames, le jambon à l'os ! Le meilleur jambon !
Voyez comme il est goûteux. Vous, Madame, combien de
tranches ? »
Il y avait beaucoup de conviction dans son obligation à faire acheter du jambon. Et dans son désir de convaincre. De voir
ces femmes jeunes ou vieilles, succomber à sa proposition presqu’impérative.
Cependant, certaines clientes quand elles l'entendaient étaient tentées de faire un détour, mais il leur fallait du lard pour la
potée. Elles se glissaient vers le stand à contrecoeur, fermant
leurs oreilles à la logorrhée tonitruante du vendeur de jambon, renfrognée, se jurant de repérer son jour de présence pour
échapper à ses démonstrations.
Il disparut.
...
J’ai appris qu'il est devenu vendeur de voitures. Qu'il en avait toujours rêvé. Qu'il est heureux.
Il vante les mérites des voitures, comme il parlerait de
maîtresses adorées. Il s'extasie devant leurs courbes, leur
élégance, leur allure, leurs capacités. Elles sont belles,
généreuses, fidèles. Et possèdent une qualité rare. Elles ne
sont pas jalouses.
On m’a raconté qu’il a mis au point une technique de
séduction totalement novatrice issue de son expérience en charcuterie.Quand le chaland semble mordre à l'hameçon,
il lui propose de goûter la voiture désirée.
Le client croit à une blague, entre dans le jeu par plaisir de l’amusement. Le vendeur lui laisse le choix du morceau.
Les uns répondent – « Ne vous moquez pas de moi » Ils ont
perdu une belle occasion.
« Le phare » disent de plus éclairés.
Les autres marquent un temps, hésitent, le cerveau s’échauffe
sous l'effort – « Le radiateur » répondent-ils enfin.
Certains, péremptoires énoncent un - « Sans façon » Ceux-là n'ont faim de rien.
Ceux qui engloutissent le monde entier fanfaronnent – « Le
capot pour sa ligne, une durite pour sa petite taille, un piston
pour son ressort,... »
Notre vendeur éclate de rire. Il aime qu’on apprécie la bonne
chère. Il revient avec autant d'assiettes que le choix du client.
Et lui fait goûter les morceaux choisis.
Appel à la résistance