Il a 16 ans. C’est presqu’un homme.
Sa taille élancée lui donnerait
une belle prestance
si ses épaules n’étaient affaissées.
Il arrive de la mer.
Il est amaigri, affaibli,
la nourriture s’étant faite
de plus en plus rare
à mesure de la traversée.
Pour payer son voyage,
il a ramé, ramé jusqu’à l’épuisement.
Le fouet martelait ses épaules,
comme celles de ses compagnons.
C’est ainsi.
I
l a fui les guerriers sanguinaires
qui dévastent le pays
et ont tué son père et sa mère.
Il n’a plus personne au pays.
La terre n’y donne plus.
La famine sévit.
On dit que sur cette terre où il vient d’aborder,
c’est l’opulence.
Il n'y connait personne.
Il ne connait que très peu la langue.
Son regard erre sur le port.
Comment peut-il faire ?
Au moment de la bousculade
à la descente du bateau,
il s’est fait voler le peu d’argent
qu’il avait pu emporter.
Les maisons le regardent,
sans aménité.
Il traverse l’espace qui le sépare
d’une auberge
et hèle un groupe
qui s’interpelle joyeusement
sur le pas de porte.
Un rire méprisant répond à sa demande.
On a autre chose à faire
que de s’occuper des mendiants du port.
Il s’éloigne
et va s’asseoir contre un arbre
dressé
un peu plus loin de là.
Il cache ses yeux dans ses mains.
De lourdes larmes
tracent des sillons le long de ses doigts.
Une main douce se pose sur son épaule.
« Petit »
Il hésite à lever le visage.
Il n’aime pas montrer qu’il pleure.
« Petit ! Suis-moi. Je vais te servir un repas.»
Il retrouve son âge.
Que risque-t-il ?
Elle l’accueille dans la grande salle à manger où crépite un feu.
La lueur dansante des flammes
illumine la salle d’une chaude lumière orangée.
Elle lui sert une écuelle de la soupe
qui ronronne sur le feu.
« Quand tu auras fini,
tu iras chercher de l’eau au puits.
Tu la mettras à chauffer.
Tu as plus que besoin d’un bon bain.
Quel âge as-tu ?»
« 16ans »
Il lui raconte le pays là-bas, très loin
de son français mal assuré.
Elle lui fait répéter,
pose des questions pour comprendre.
C’est difficile.
Les expressions ne sont pas les mêmes.
La façon de penser, de dire, diffèrent.
Il s’explique, raconte,
petit à petit se détend.
Cette douceur est si bonne, si nouvelle.
Elle l’installe dans une petite pièce
qui ne servait plus.
De jour en jour, la confiance s’installe.
Une relation nait. Forte.
Elle a perdu son fils, il y a deux ans.
Tout cet amour qu’elle avait pour lui, bouillonnait en elle sans issue.
Comme une blessure
qui se creuse de ne pouvoir s’offrir.
Il sort d’abord prudemment
en un petit filet timide
qui s’en va grossissant.
Elle fera tout son possible
pour lui permettre de s’installer ici
et d’y avoir une vie décente.
Même si l’"Administration" n’aime pas ça l’étranger.
Et n’aime pas les gens
qui aident l’étranger.
Et puis même si des citoyens
n’aiment pas ça non plus
l'étranger
et seraient prompts à le dénoncer à l’"Administration".
Elle va l’aider
d’abord parce que c’est dans son tempérament
et dans ce qu’elle trouve bien.
Et puis,
parce qu’elle commence à sacrément l’aimer ce garnement.
Et quelles que soient les embûches.
Elle sollicite ses relations de confiance.
Quelques mois plus tard,
l’ « Administration » remplit son office, cumulant les obstacles
à une installation stable.
Ils rencontrent des mufles,
des irresponsables, des inhumains.
Et puis,
ils rencontrent du soutien
et de la solidarité.
Et puis, il y a cet ami.
Il emploie le jeune homme
qui ne rechigne pas à la tâche,
soucieux de rendre de son mieux
l’attention qui lui est offerte.
Ils sont quatre à table à midi
aujourd’hui.
Ils sont tous venus partager
le repas chez leur maman
comme ils disent.
Plus d’un a pleuré sur son épaule
aux moments de découragement
parce que la peur d’être renvoyés
était trop forte.
Ici, c’est leur chez eux.
Ils vont, ils viennent.
La porte est toujours ouverte.
Il y a toujours une paillasse pour dormir.
Ils sont venus de la mer pour créer
une cathédrale
avec elle
contre tous les refus et pour un sourire.
Ça se passe aujourd’hui ou hier.
Ça traverse le temps,
comme les cathédrales .