Je suis Mijoty, née en même temps
que l’installation de la télévision noir et blanc
chez Monsieur et Madame Toulemonde.
Mon créateur, pour faire branché,
m’a parée des seuls noir et blanc.
Ne me trouvez-vous pas chic ainsi ?
D’autres se seraient offusquées,
se seraient exclamées,
auraient supplié afin d'obtenir
des séances de relooking,
certaines auraient trépigné
requérant le designing
de chez "Elsenvol",
plusieurs auraient préféré
le peinturling.
Moi, j’étais plutôt contente.
Je me trouvai ainsi associée
à cette grande invention
qui enfin se répandait dans les foyers.
Cette innovation, qui allait occuper
tant de jeudis après-midi d’enfants,
que tant de parents allaient
pour cette raison encenser ou décrier.
Elle allait accompagner
tant de soirées éreintées
de travailleurs avachis dans leur fauteuil.
Et leur faire oublier la répétition inlassable
du geste automatique qui ferait le siège de voiture
ou la machine à laver.
Je suis née avec la modernité
des années fastes.
Point besoin de couleurs
pour me donner bonne tournure.
J’étais heureuse de mon sort :
mon créateur m’avait offerte
à sa petite nièce.
L’on m’avait encadrée d’un vert doux
qui se détachait sans ostentation
sur la tapisserie en camaïeu de bleu
au-dessus du joli lit
en bois blanc.
Par la porte entrouverte,
j’entendais la télévision
qui s’occupait des enfants.
Ainsi, Je ne me sentais pas seule.
Je participais à leur vie.
J’entendais leurs éclats de rire,
leurs disputes,
Parfois, la voix du père
s’élevait pour calmer l’ensemble.
Ma petite maîtresse avait,
de temps en temps, un invité.
Immanquablement, l’un ou l’autre disait :
" Elle est amusante ta petite sorcière.
Tu pourrais la colorier ! "
Me colorier ! Comme un vulgaire coloriage pour enfants !
Ma petite maîtresse,
qui avait bon goût, inlassablement répondait :
" Non, cela risquerait de la gâter ! »
Elle avait parfois des pauses
de petites femmes ma petite maîtresse.
Les années ont passé, la télévision a pris des couleurs.
Les enfants ont grandi.
L’un après l’autre, ils ont quitté la maison.
Ma petite maîtresse était devenue
bien plus grande que petite.
Je restai dans mon cadre vert doux
sur la tapisserie bleue camaïeu.
Souvent, le silence opacifiait la maison.
De temps à autre, ma petite maîtresse
venait me rendre visite.
Un jour,
elle amena
un jeune homme Biensoutourapor.
Elle me présenta.
Il apprécia la qualité de mon trait
et la sobriété de mes couleurs.
Je trouvais
que ma petite maîtresse avait bon goût.
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