L'Affaire Karachi, l'Affaire Bettencourt : la presse, des témoins, des victimes s'élèvent contre les pratiques de remise en cause du droit d'information des journalistes, des libertés fondamentales en France et contre le détournement des missions de certains services de l'Etat en France.
Le 19 juillet 2010, la liste des appels téléphoniques d'un journaliste travaillant sur l'affaire Bettencourt a été demandée à son opérateur téléphonique de façon illégale par le contre-espionnage intérieur français. Les révélations de Gérard Davet du Monde pouvaient mettre en cause Eric Woerth, à ce moment là ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique, soupçonné de conflit d'intérêts. Les services des renseignements intérieurs auraient cherché à retrouver l'auteur des informations, dit "la source" pour le museler et empêcher d'autres révélations qui mettraient en cause le plus haut degré de l'Etat. Le nom de Nicolas Sarkozy a été évoqué. Par la suite, un Haut Fonctionnaire de la Chancellerie, David Sénat a été démis de ses fonctions et renvoyé du ministère au motif, semble-t-il que son nom figure dans la longue liste des appels téléphoniques du journaliste espionné.
" La recherche de fadettes (relevés téléphoniques), menée par le contre-espionnage repose sur des "bases juridiques extrêmement fragiles ", estime (...) M. Sénat. On lui a donné de très nombreux fondements juridiques différents : on a invoqué la prévention du terrorisme, la protection des institutions, (...) la recherche d'une infraction pénale, c'est à dire une affaire de police judiciaire alors qu'on a saisi un service de contre-espionnage dans un cadre administratif, note M. Sénat"
Le Figaro 03.09.2011
Entre le 2 et le 8 juillet 2011, Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart et Edwy Plenel, directeur de la rédaction du Monde jusqu'en 2004, devenu patron de Médiapart informent qu'ils ont reçu des menaces de mort en raison du travail de Fabrice Arfi sur " l'Affaire Karachi ", relatant les dessous de la vente de trois sous-marins militaires au Pakistan et trois corvettes à l'Arabie Saoudite. Les contrats seraient passés par le versement de commissions légales aux intermédiaires, appelées pudiquement, frais commerciaux exceptionnels, dont une partie serait reversée illégalement au parti d'Edouard Balladur, en tant que rétrocommissions, contribuant ainsi largement au financement de sa campagne.
Chirac aurait mis un terme au versement de ces commissions, interdisant la réalisation des engagements pris avec les intermédiaires, afin d'handicaper son rival. Le 8 mai 2002, un attentat commandité à Karachi a fait14 morts dont 11 ouvriers de la Direction de la Construction Navale venus à Karachi au Pakistan pour honorer le contrat de vente des sous-marins.
Le résumé du démarrage de l'affaire Karachi en un coup d'oeil par le Monde
Le patron d'une société d'intelligence économique, Pierre Sellier, qui selon les victimes des menaces serait proche du bénéficiaire des commissions non honorées, Ziad Takieddine, aurait à plusieurs reprises mis en garde les journalistes qui travaillent sur l'affaire jusqu'à proférer des menaces de mort réitérées à l'égard de Fabrice Arfi.
La Société des Journalistes de Médipart s'inquiète "du climat d'intimidation qui pèse sur le travail de journalistes de plusieurs rédactions".
Dans sa plainte, Fabrice Arfi aurait mentionné les propos de Pierre Sellier "Je vais le tuer. (...) Trois balles dans la tête"
"Espionnage de journalistes, cambriolages suspects, et maintenant menaces de mort : ces pratiques inacceptables sont-elles désormais considérées comme légitimes par les milieux proches du pouvoir pour lutter contre le journalisme d'investigation?, s'interroge Reporter sans Frontière"
Le Nouvel Obs 01.09.2011
Reporter sans Frontière analyse la situation du droit à l'information en France :
La France se retrouve en 2010 au 44 ème rang mondial pour la liberté de la presse. La Corée du Sud, l'Afrique du Sud, le Mali, le Ghana, le Hongrie, ... sont mieux placés.
" La majorité présidentielle a eu des mots très menaçants, parfois insultants, envers certains médias. Ces déclarations ont eu une résonance mondiale et, dans beaucoup de pays, le gouvernement français n'est plus considéré comme respectueux de la liberté d'information", affirme l'organisation."
Le nouvel Obs 20.10.2010
L'Association de la Presse judiciaire (APJ) et le Syndicat national des journalistes (SNJ) se sont constitués partie civile dans la plainte du journal "Le Monde" dans l'affaire des relevés des appels téléphoniques de Gérard Davet.
"Les membres de la Presse judiciaire ne peuvent (...) tolérer que sur des dossiers sensibles le pouvoir en place cherche à identifier leurs informateurs afin, à terme, de tarir leurs sources et de tuer la liberté d'informer", selon l'APJ.
Le Nouvel Obs 02.09.2011
Fabrice Arfi exprime son analyse de la situation actuelle aux "Inrocks" :
" (...)Je n’ai jamais perdu une source à ce jour. Mais cette ambiance est réellement pesante, un climat de peur règne. Il faut donc redoubler d’astuces de discrétion pour protéger ses sources. Cela donne l’impression d’une violence d’Etat psychologique plus importante. Je pense que cela découle de la personnalité et du type de gouvernance cher à Nicolas Sarkozy, qui sont outranciers. C’est la pédagogie du "casse toi pauv’ con" : quand un citoyen refuse de serrer la main du président, alors le Président de la République lui lance "Casse toi pauv’ con". C’est une psychologie de la vulgarité, qui pèse sur tout le monde, aussi bien les juges indépendants que les journalistes ou les fonctionnaires. Cela fait désormais partie du paysage.(...)
On a l’impression que Nicolas Sarkozy privatise directement les services de l’Etat, comme le contre-espionnage, pour enquêter sur des journalistes qui traitent des affaires gênantes pour lui. Nicolas Sarkozy avait fait campagne sur la rupture, effectivement il y en a une de ce côté là : auparavant, il y avait une certaine culpabilité à surveiller des journalistes ou des personnalités, mais aujourd’hui c’est fait de manière complètement décomplexée et irresponsable."
Il semble aujourd'hui que les personnes apparentées à la majorité, détentrices des places en vue dans la société que ce soit par leur mandat politique, par l'importance de leur fortune ou par leur assise professionnelle et les personnes qui leur sont proches, n'hésitent pas à utiliser la fonction publique et les revenus de l'Etat au service de leurs intérêts privés et de la défense d'agissement frauduleux. Elles se montreraient prêtes à mettre en oeuvre des moyens de pression dont on ne mesure peut-être pas encore toute l'ampleur pour faire taire ceux qui pourraient parler. Certaines sont également prêtes à soutenir au grand jour l'illégalité des méthodes de leurs serviteurs zélés. Le pouvoir s'assoit sur la loi et le dit haut et fort :
"Interrogé par Le Monde sur la question de savoir s'il y aurait des sanctions prises contre Bernard Squarcini et Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, Claude Guéant a répondu "bien évidemment non". "MM. Squarcini et Péchenard sont des grands serviteurs de l'Etat et de l'intérêt général, ils font leur devoir et ils ont toute ma confiance", a-t-il ajouté."
Qui a commandité les menaces de mort proférées par Pierre Sellier à l'encontre de Fabrice Arfi, réitérées à plusieurs reprises ?
De qui vient l'ordre aux services secrets de demander les relevés téléphoniques de Gérard Davet ?
Qu'est-ce qui arrêtera le pouvoir dans l'utilisation de mesures d'intimidation, la violation de la loi et la remise en cause de la liberté d'expression et de témoignage ?